ALETHEIA

 

 

 

 

 

 

 

 

"Slip it in "

 Texte écrit à l'occasion de l'exposition   « Slip it in » (Workshop 2) Salle Michel Journiac, 23 au 27 Avril 2001, Université St Charles, Paris I

Aletheïa… Vérité qui ne s’approche qu’au risque d’un dévoilement en danger d’anéantissement. Vortex où s’engouffre la pensée jusqu’à l’impuissance, jusqu’à la virginité de la toile blanche, jusqu’au blanc de cette page d’écriture obstinément A4, obsessionnellement A4, écholalie du silence à jamais répercuté. Slip it in. Glisse-le à l’intérieur. It. Quoi donc. Quelle est cette partie intacte de moi-même, quel est le secret du tableau qui se repousse toujours plus à l’intérieur, jusqu’au vide d’un centre qui se refuse. Hantise du rien. Hymen panique.  

"Aletheia"

Texte écrit à l'occasion de l'exposition MANIF, Séoul Arts Center, 24 Mai -7 Juin 2001, Séoul, Corée :

Déroute de la Vérité : selon Heidegger[1] , avant que les romains ne fassent subir au concept un glissement sémantique (Le « Vrai » devient alors l'équivalent du "Juste"), "Aletheïa" était ce dévoilement toujours repoussé, toujours partiel, toujours en scintillement, qui nous faisait voir la clarté à travers le recouvrement inexorable, fatal, imparable, d'un medium verbal toujours hétérogène à l'objet à décrypter.

Ainsi, s'il est du sens dans la peinture, il ne peut s'acheminer que par la parole qui la hante, poésie, discours, commentaires, si chaotiques soient-ils... et même s'ils ne franchissent pas le seuil d'une pensée secrète et non partagée, où seuls quelques mots affleurent à la pensée, mondes subsumés, cadrages toujours mouvants, superpositions de mémoires et de références toujours indécises.

Du fond de la toile s'avancent vers nous ces formats A4 qui sourdent et s'échangent à la surface, figures abstraites des écrans du langage, de ces vêtures du sens qui tourmentent le tableau, le voilent et le dévoilent. Idée qu'à vouloir les y arracher il ne resterait qu'un vortex de vide panique où la toile toute nue s'abîme.

 Le Temps de face et de profil.

Dans la figure Vortex/Aletheïa, le temps, sagittal, dans un double mouvement, venu du fond de la toile, point à la surface ou au contraire s'enfonce jusqu'au vide de la perte : c'est le temps vu de face.

La ligne rouge, trait tracé dans une vitesse de l’improvisation dénie soudain et comme par surprise, comme par révolte, tout ce temps du repliement de la réflexivité, carcérale, éperdue, spirale centrifuge de l’angoisse, silence d’impuissance. La ligne rouge y prend son essor comme un temps vu de profil: cheminement qui promène sa liberté en errances ou détournements d'un réel attendu, elle est déploiement de l'affirmation vitale de l'être.

Comme barrant l’espace de sa présence éminente, comme superposée à l’inéluctable d’un destin de torture blanche interminable, celle de l’interrogation stérile, de la procrastination paralysante, la ligne rouge s’affirme et danse, pousse le cri jubilatoire d’une puissance recouvrée, décisionnaire. Celle du choix, soudain, libérateur, de se jeter dans l’inconnu de l’instant, de tracer sans se retourner, d’obliquer dans le seul impromptu de la promenade, sans calcul et sans peur, éloge du Caprice, d’une gratuité d’enfance et d’innocence.

Route, voie, cheminement, parcours, itinéraire, trajet, aventure. La ligne se crée d’elle-même dans la pure énergie de la dépense.

 

Le bronze, troisième figure symbolique, est du pigment pur soufflé sur la peinture fraîche.

(Nul autre pigment que le pigment blanc et que le pigment bronze n’a été utilisé pour ces peintures où la toile vierge, écrue ou verte, y apparaît en réserves.)

Dans cette généalogie de nos mythes que fait Freud dans le thème des trois coffrets (2), le bronze est des trois métaux précieux, le moins noble, après l'or et l'argent : celui qui choisit la Femme de Bronze signe l'acceptation de son destin fatal, et par cet acquiescement à ce qui doit être, se rend maître de son destin.

"Symbole d'incorruptibilité et d'immortalité, ainsi que d'inflexible justice"(3), le bronze est donc un symbole éminemment duel et ambivalent. D'un point de vue plastique, ce pigment réagit en s'oxydant différemment au contact de chaque matériau employé, encollage, enduit, liants divers, acrylique, huile..., et selon leur temps de séchage. Créant chaque fois la surprise, et rendant impossible toute prévisibilité des tonalités que le Caprice du Temps lui incombera, il est le matériau de prédilection pour une promenade livrée à l’impromptu, à l’improvisation.                         

 


 

[1]  Martin Heidegger, L'origine de l’œuvre d'art, in Les chemins qui ne mènent nulle part,(Holzwege), Gallimard, 1962.